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Focus sur le secteur des semi-conducteurs - 1/2

Le 30/11/2021
La dynamique de croissance de l’industrie des semi-conducteurs est-elle structurelle ? Christophe Girard, gérant titres vifs à la Banque Privée BPE, spécialiste des technologies, des médias et des télécoms, revient pour BPE Le Mag’ sur les spécificités du secteur pour apporter des éléments de réponse aux investisseurs.

Qu’est-ce qui a changé selon vous dans l’industrie des semi-conducteurs ?
Il est difficile pour les investisseurs d’accepter l’idée que l’industrie des semi-conducteurs a changé mais elle est beaucoup plus concentrée que par le passé et plus résiliente.
La nouvelle phase dans laquelle vient de rentrer l’industrie (celle du big data, de l’Intelligence Artificielle, de l’industrie 4.0, de l’électrification de véhicules, de la 5G, etc.) entraîne un changement radical au niveau de la demande par rapport aux cycles précédents. Auparavant, elle était concentrée sur les systèmes d’information (PC dans les années 80-90, avènement d’internet au début des années 2000) et les Télécoms (smartphones avec le 1er iPhone en 2007). Désormais, la demande est extrêmement fragmentée. Elle ne dépend plus d’une grosse application mais de myriades d’applications. Tout devient intelligent et connecté : smart cities, smart homes, smart factories, smart cars, etc. Cette nouvelle phase devrait durer 10 ans.

 

L’industrie des semi-conducteurs est-elle moins volatile ?

graphique article 1

Historiquement, le secteur a toujours été très volatil. La volatilité est toujours d’actualité, d’autant que la pénurie actuelle de composants peut créer quelques prises de bénéfices, mais la fourchette s’est resserrée (-15% à +25% entre mars 2018 et juin 2019 vs +60% à -10% entre mars 2010 et janvier 2012 et +52% à -45% entre juin 2000 et septembre 2021 – WSTS - Q1 Global Semiconductor Sales - 30 04 2021).

Le marché des semi-conducteurs a toujours été sensible à la croissance du PIB mondial, aux phases de restockage/déstockage et aux sur ou sous-capacités de production (équilibre offre/demande).
En 2020, on a observé pour la première fois une décorrélation entre la macroéconomie (PIB mondial 2020 à -4,3%) et la croissance des revenus du secteur des semi-conducteurs (+6,5% à 439 Md$ - Source : WSTS - Global Semiconductor Sales - 01 02 2021).

Cette décorrélation ne doit pas être extrapolée mais elle marque l’histoire du secteur. En termes de risques, ce qui a changé, ce ne sont pas les corrections d’inventaire (qui durent en moyenne 1 ou 2 trimestres), ni les cycles macroéconomiques, mais le contenu par appareil. Le secteur est désormais beaucoup plus sensible aux nombres de composants électroniques par unité produite qu’à la croissance du nombre d’unité produite elle-même.

 

Le secteur est-il plus discipliné que par le passé ?


Historiquement, le secteur des semi-conducteurs n’a jamais été très discipliné, ni sur les prix, ni sur la gestion des stocks, avec des dépenses d’investissement excessives.  
Seulement, après une vague de consolidation sans précédent depuis 2015 (372 Md$ de fusions-acquisitions – Source IC Insights : « Value of Semiconductor Industry M&A Agreements »– 12/01/2021), l’industrie a donné naissance à quelques acteurs dominants à chaque maillon de la chaîne logistique mondiale. Les 10 premiers vendeurs pèsent aujourd’hui 55% de l’ensemble des revenus du secteur (source : Gartner : « Top 10 Semiconductor Vendors by Revenue, Worldwide, 2020 » - 12/04/2021), contre 44% en 2015, et le marché est devenu beaucoup plus discipliné et bien mieux positionné.

Qui est concerné par cette concentration du marché ?

Tous les acteurs du marché ont été concernés par cette vague de consolidation, que ce soit :

•    les IDM (Integrated Device Manufacturers), qui réalisent eux-mêmes toutes les étapes de la conception à la fabrication en passant par la vente des puces, comme Intel (n°1 mondial avec 72,7 Md$ de revenus en 2020 - 31 acquisitions depuis 2009), SK Hynix (n°3 avec 25,8 Md$), Micron Technology (n°4 avec 22 Md$ en 2020), Texas instrument (n°7 avec 13,6 Md$), Infineon ou STMicroelectronics
•    les « fabless », qui conçoivent les puces mais ne les fabriquent pas, comme Qualcomm (n°5 mondial avec 17,6 Md$ de revenus en 2020), Broadcom (n°6 – 15,7 Md$), NVIDIA (n°9 avec 10,6 Md$), Apple, AMD, Dialog Semiconductor (racheté en février 2021 par Renesas Electronics, etc.)
Notons que les IDM et les Fabless (hormis Apple) commercialisent leurs puces auprès de leurs propres clients qui sont des industriels, des constructeurs auto, des fabricants de Smartphones… Lorsque l’on parle du marché des semi-conducteurs (439 Md$ en 2020), on parle du CA réalisé par les IDM et les FABLESS
•    Les fondeurs, qui fabriquent les semi-conducteurs à partir des plans de leurs clients. Avec 56% de parts de marché au 1er trimestre 2021 (source : Trendforce - Revenue of Top 10 Foundries – 24 02 2021), le taïwanais TSMC pèse 3 fois plus que le n°2 mondial, Samsung (18% de parts de marché) et 8 fois plus que le n°3 UMC et le n°4 Globalfoundries.
Il y a 30 ans, 30 fondeurs proposaient le process de manufacturing le plus avancé (180 nanomètres = taille de chaque processeur). Quelques années plus tard, sur des nœuds de gravure de 65nm, il en restait moins de la moitié (14 fondeurs). Lorsque la miniaturisation des composants a atteint 14 nm, seuls 6 fondeurs étaient en mesure de répondre à la demande. Aujourd’hui, sur le 5 nm, il en reste 3 (TSMC, Samsung et Intel) et il n’y aura pas de retour en arrière car une nouvelle usine coûte 15 Md$. TSMC a annoncé un plan d’investissement de 100 Md$. Les barrières à l’entrée sont colossales.
•    Les équipementiers, qui fournissent en matériels les fondeurs et les IDM. On peut citer ASML (n°1 mondial), Canon ou Nikon qui équipent leurs clients en machine de lithographie ou encore Applied Materials (n°2), Tokyo Electron (n°3), LAM Research (n°3), KLA (n°4) ou ASMI qui vendent des machines permettant de faire la Déposition (dépôt d’un fluide qui rend le silicium conducteur) et du Etching (nettoyage de la gravure). Là encore, les leaders dominent largement le marché. Les 6 premiers pesaient 61% du marché en 2020 (source :  Statista : Semiconductor WFE equipment market share worldwide 2018-2020, by supplier – 07/04/2021).  
ASML n’a pas le monopole sur toutes les machines de lithographie. En revanche, l’équipementier a le monopole sur les dernières générations de machines (Extrême ultraviolet (EUV), High NA, etc.) qui permettent au fondeur d’atteindre des nœuds de gravure inférieurs à 14 nm, pouvant atteindre jusqu’à 3 nm (3 fois la taille d’un atome !). Ces machines comptent plus de 100000 composants, coûtent 144 M$ (en moy. fin 2020), nécessitent 40 conteneurs pour être transportées et la technologie a demandé plus de 10 ans de R&D et plus de 10 Md$ d’investissements (plus d’informations sur «les défis technologiques de la lithographie extrême ultraviolet » – Les Echos - 20/05/2019)

Quels sont les impacts de la consolidation sur le secteur ?

La consolidation a atteint un nouveau sommet en 2020, avec 118 Md$ de deals, après celui de 2015 (107 Md$), dont 94 Md$ pour les 5 plus grosses opérations de fusion-acquisition.  
Cette concentration a des conséquences évidentes sur la discipline du secteur en termes de capacités, de prix et de rentabilité. La marge d’exploitation moyenne du secteur et le ROE (rentabilité des capitaux propres) sont passés respectivement de 12% à 28% et de 17% à 28% entre 2002 et fin 2020 (source : Factset).  

Pour résumer, quels sont les éléments structurels qui soutiennent la croissance du secteur des semi-conducteurs ?

Le secteur des semi-conducteur est plus concentré, moins volatil que par le passé et plus profitable. La croissance est portée par des tendances structurelles fortes comme la 5G, l’IoT, les véhicules électriques, l’IA, la réalité augmentée, la 3D, l’industrie 4.0 ou le Edge computing.

Quelles sont les points d’attention avant d’investir dans ce secteur ?

En fonction de votre niveau de connaissance des entreprises du secteur, du temps que vous pouvez accorder à vos investissements et du capital à investir vous choisirez un investissement en direct ou via des fonds.
Pour investir en direct, il faut être sélectifs dans le choix des titres, ce qui nécessite d’y consacrer du temps. Avant et tout au long de votre investissement, vous devez vous intéresser à la vie de l’entreprise et de son secteur d’activité, sur la base des règles suivantes :
•    Privilégier les sociétés qui ne sont pas dépendantes de quelques gros clients avec une couverture sectorielle et géographique étendue.
•    Éviter les sociétés trop endettées (besoin constant d’investir pour rester compétitif) et celles qui présentent une trop grande volatilité.
•    Étudier les perspectives de croissance des sociétés pour les prochaines années et leurs objectifs d’amélioration des marges (voir la rubrique « Relation investisseurs » sur les sites institutionnels des sociétés). Vérifier que leurs objectifs soient clairs et proches des prévisions des cabinets de conseil (WSTS, SIA, IDC, IC Insights, Gartner, etc.).
•    Analyser les multiples historiques d’une société et la valoriser par rapport à ses concurrents directs pour avoir une idée du prix raisonnable à payer pour un actif.
•    Diversifier ses investissements et ne pas se surexposer de façon démesurée ni sur un secteur ni sur une valeur par rapport aux poids qu’ils représentent dans les indices.
•    Certaines valeurs exposées à cette thématique sont aujourd’hui valorisées sur des multiples relativement élevés par rapport au marché. Tout investissement sur ce secteur nécessite d’avoir un horizon de temps à moyen long terme.
Quoi qu’il en soit, investir en actions est un placement risqué. Ayez donc de côté une épargne de précaution et n’investissez que les sommes dont vous êtes sûr de ne pas avoir besoin avant plusieurs années.