Avis d'expert

Marché du paiement : quelques clés pour investir sur le thème de la consolidation

Le 16/07/2019
Christophe Girard, gérant titres vifs à la Banque Privée BPE, spécialiste des technologies, des médias et des télécoms, revient pour BPE Le Mag’ sur les spécificités du marché du paiement pour les investisseurs.

Quelles sont les perspectives de croissance mondiale de l’industrie du paiement ?

Comme évoqué dans l’article précédent « Investir sur le marché du paiement : les acteurs et les tendances », la croissance des prestataires de service de paiement est corrélée à la croissance des transactions électroniques, qui accélère à mesure qu’elles viennent remplacer les paiements en espèces ou par chèques.

Au global, les transactions non-cash à l'échelle mondiale devraient accélérer pour atteindre un taux de croissance moyen de 13,6% entre 2019 et 2021 (vs +10,9% entre 2016-2018), dont +23% pour les marchés émergents1 .

Quels sont les facteurs qui expliquent ces prévisions ?

Plusieurs facteurs expliquent cette tendance, notamment :
•    Le poids de la carte bancaire dans les transactions non cash, qui ne cesse d’augmenter (de 61% en 2012 à 67% en 20161).
•    La révolution digitale, avec le développement des achats sur Internet et l’essor des portefeuilles électroniques (Apple Pay, Samsung Pay, Google Wallet, Paypal, Paylib, V.me...).
•    La croissance rapide de l’e-commerce et du commerce sur appareils mobiles. Selon eMarketer2 , les ventes mondiales réalisées dans l’e-commerce devraient croître en moyenne de 19,7% par an entre 2018 et 2021.
•    Les paiements immédiats (également appelés paiements instantanés ou paiements en temps réel) devraient également contribuer à accroître les paiements électroniques.

Ces anticipations de croissance à l’échelle mondiale sont-elles similaires dans l’Union européenne ?

Dans l’Union européenne, le nombre total des transactions électroniques devrait progresser de 7% par an entre 2020 et 20253, les paiements par carte représentant 55% des transactions non-cash en 2020 (contre 25% en 20004) et les méthodes de paiement alternatives devraient connaître le taux de croissance le plus élevé pour représenter 8% des transactions non-cash en 2020  puis 12% en 20253.

 

  [1]CapGemini & BNP Paribas. 2018 - World Payments Report 2018 [En ligne]. Disponible sur https://worldpaymentsreport.com/resources/world-payments-report-2018/
  [2]eMarketer – Statista. Mars 2018 - Global retail e-commerce sales 2014-2021 [En ligne]. Disponible sur https://bit.ly/2eWZ8Zx
  [3]A.T. Kearney. 2016 – Cashing In on Cashless Commerce [En ligne]. Disponible sur https://www.atkearney.cn/paper/-/asset_publisher/dVxv4Hz2h8bS/content/cashing-in-on-cashless-commerce/10192?inheritRedirect=false

La réglementation peut-elle transformer en profondeur le paysage concurrentiel de l’industrie du paiement ?

Le système réglementaire de l’industrie du paiement à travers le monde est très complexe et le respect des règles (cf. Key Regulatory and Industry Initiatives) crée une barrière à l’entrée colossale, impliquant de gros investissements. La course à la taille dans cette industrie à coûts fixes est donc clé.


La réglementation amène également les banques à développer de nouveaux systèmes de paiement numérique. Elle favorise aussi l’émergence de start-ups spécialisées en technologie financière ("fintechs"), comme Ayden et Stripe, qui viennent concurrencer les prestataires de paiement historiques, ce qui est propice à la consolidation.


Elle s'accélère d’ailleurs aux Etats-Unis depuis le début de l’année : la fintech Fiserv a annoncé en janvier le rachat de FirstData pour 22 Md$, la fintech FIS a annoncé en mars le rachat de Wordpay pour 35 Md$, et Global Payment vient d’annoncer en mai l’acquisition de Total System Services pour 21,5 Md$.


Au sein de l’Union Européenne, où le paysage concurrentiel est nettement plus fragmenté (Worldline, Nets, Worldpay, Ingenico, Nexi, Wirecard, GlobalPayments, Sia, Adyen, EVO Payment, etc.), la consolidation ne peut que se poursuivre.


La nouvelle réglementation amène le marché européen des services de paiement à un point d’inflexion où la consolidation s’impose. La DSP2 implique notamment deux changements majeurs :

D’un côté, les banques vont voir leurs coûts augmenter pour proposer ces nouveaux services et se conformer au RGPD et leurs revenus baisser avec l’émergence des prestataires de services d’initiation  (nouvelle concurrence) qui vont faire évoluer leurs solutions de paiement reposant sur la carte bancaire (à commissions variables sur le montant de la transaction) vers des services reposant sur le virement (à commissions fixes).


De l’autre côté, les prestataires de paiement qui en ont les moyens vont chercher à faire des acquisitions, pour accéder à de nouveaux clients, couvrir de nouvelles zones géographiques et proposer un maximum de services aux banques (authentification forte, conformité, paiement instantané, etc.) et aux commerçants (fournisseur tiers de solutions de paiement par virement).


En fusionnant les plate-formes technologiques acquises, ces prestataires augmentent les volumes de transactions traitées, améliorent leur rentabilité et gagnent de nouveaux contrats d’externalisation de services auprès des banques.
Le marché des services de paiement en Europe devrait donc fortement se concentrer dans les années à venir.

 

[4] European Central Bank. 14 septembre 2018 – Payments statistics: 2017 [En ligne]. Disponible sur https://bit.ly/2vOybAX

Comment profiter de la consolidation de l’industrie du paiement en Europe en tant qu’investisseur ?

Les investisseurs se doivent d’être sélectifs dans le choix des titres, sur la base des règles suivantes :

  • Sélectionner les valeurs qui ont su démontrer par le passé la solidité de leur modèle.
  • Privilégier les sociétés qui proposent l’offre de services la plus exhaustive possible (émissions, acquisition, virements et prélèvements, services aux commerçants, acceptation online, services digitaux, authentification forte, conformité DSP2 et RGPD…) avec une couverture géographique étendue.
  • Éviter les sociétés trop endettées et celles qui présentent une trop grande volatilité.
  • Étudier les perspectives de croissance des sociétés pour les prochaines années et leurs objectifs d’amélioration des marges (voir la rubrique « Relation investisseurs » sur les sites institutionnels des sociétés). Vérifier que leurs objectifs soient clairs et proches des prévisions de marché (ECB Statistical Datawarehouse, BIS Red Book, rapports annuels des banques centrales, InnoValue, eMarketer, Mercator, etc.).
  • Analyser les multiples historiques d’une société et la valoriser par rapport à ses concurrents directs pour avoir une idée du prix raisonnable à payer pour un actif.
  • Diversifier ses investissements et ne pas se surexposer de façon démesurée ni sur un secteur ni sur une valeur par rapport aux poids qu’ils représentent dans les indices.
  • Certaines valeurs exposées à cette thématique sont aujourd’hui valorisées sur des multiples relativement élevés par rapport au marché. Tout investissement sur ce secteur nécessite d’avoir un horizon de temps à moyen long terme.

 

Pour rappel, avant tout investissement, quelques règles simples à suivre :

  • Vérifiez que vous disposez d’une capacité d’épargne régulière et d’une épargne de précaution déjà constituée disponible en cas de difficultés imprévues.
  • Définissez l’objectif de votre placement.
  • Déterminez l’horizon de votre placement et assurez-vous que vous n’aurez pas besoin de l’argent investi sur cette durée.
  • Identifiez les risques que vous êtes prêt à prendre.
  • Fixez-vous une limite : un montant que vous ne dépasserez pas, même pour « renflouer » votre investissement en cas de pertes.